SAMUEL

SAMUEL – « Bonjour. Je m’appelle Samuel. J’ai 18 ans. Il y a cinq ans, j’ai commis une agression sexuelle sur ma jeune demi-sœur, qui avait alors quatre ans. J’ai plaidé coupable devant la Cour. Une intervenante a écrit un rapport prédécisionnel à mon sujet. J’ai rencontré un psychiatre de l’Institut Philippe-Pinel qui a aussi présenté une évaluation au juge. Avec toutes ces informations, le juge a ordonné que je sois en probation pendant 20 mois. Sa décision a été rendue en 2019, car les procédures ont pris un certain temps. Cette probation m’imposait des conditions à respecter, dont l’obligation de terminer une démarche thérapeutique en délinquance sexuelle que j’avais déjà commencée avant même de commettre mon délit. J’avais aussi comme conditions l’interdiction d’avoir accès à de la pornographie et d’être en contact avec tout individu de moins de 14 ans sans la supervision d’un adulte responsable. »

INTERVENANT – Aujourd’hui âgé de 18 ans, Samuel fait toujours l’objet d’une mesure de probation en vertu de la LSJPA. Au total, trois autres ordonnances de peine, y compris des suivis probatoires, se sont ajoutées tout au long de son parcours, essentiellement en raison de bris de conditions liés à la consommation de pornographie, malgré les interdictions de la Cour. En ce moment, nos interventions dans ce dernier suivi probatoire ont prioritairement trait aux besoins de Samuel en matière de réinsertion. Il faut dire qu’il a vécu dans un centre de réadaptation de l’âge de 11 ans jusqu’à sa majorité. Nous l’aidons aussi à mettre en pratique les apprentissages reçus tout au long de ses trois années de psychothérapie en délinquance sexuelle.

S – « J’ai grandi dans un milieu familial où ma mère a dû apprendre à gérer sa santé mentale. Elle a eu des conjoints qui étaient parfois négligents et même, parfois violents. Mon père a longtemps été absent de ma vie. Encore aujourd’hui, je le vois très peu. »

INT – Dès la petite enfance, Samuel a commencé à visionner de la pornographie régulièrement, à manifester des troubles du comportement sexuel et à s’opposer aux règles et aux consignes en vigueur dans les différents univers dans lesquels il évoluait. À 11 ans, il a été admis dans un centre de réadaptation. Sa mère a demandé son placement, se sentant incapable de gérer les troubles de comportement de son fils après qu’il ait fait des attouchements de nature sexuelle sur des jeunes filles dans différents milieux et dans divers contextes, qu’il ait incendié des buissons dans des endroits publics, qu’il ait fugué de son domicile au petit matin et qu’il ait commis des vols. Bien qu’il ait pu intégrer un centre spécialisé dans le traitement des agressions sexuelles et malgré les interventions du centre pour le réadapter, ses comportements sexuels problématiques ont persisté. De plus, à la suite du délit commis à 13 ans, aucun retour au domicile familial n’était envisageable. En vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, Samuel a donc été placé dans un centre de réadaptation jusqu’à sa majorité. Un intervenant du Programme qualification des jeunes lui a été affecté pour l’aider à préparer sa réinsertion.

S – « Depuis que je suis majeur, je me réhabitue à fonctionner en dehors du Centre. Cela me pose beaucoup de défis, puisque j’ai été placé tout au long de mon adolescence. Jusqu’ici, les mesures de réinsertion ont mal fonctionné, parce que je brisais presque toujours mes conditions de sortie. Maintenant, avec ma déléguée à la jeunesse et mon éducateur du Programme qualification jeunesse, je suis en confiance; je fais davantage preuve de transparence durant mes rencontres avec eux lorsqu’il est question de sexualité. En fait, je pense que ne plus avoir d’interdiction en lien avec la pornographie m’a fait perdre une partie de mon intérêt à en consommer! Aussi, grâce au soutien de mes intervenants, je suis plus motivé. Autant, au cours de mes années de placement, j’étais assez fermé aux conseils et à la discussion, autant maintenant, je suis à l’écoute, j’accepte de recevoir de l’aide et j’applique les conseils de mes intervenants. Je suis les recommandations prodiguées lors des rencontres. Je communique avec ma déléguée entre les rencontres prévues pour la tenir au courant de ma situation. Bref, je lui fais confiance et je veux garder sa confiance. »

INT – Bien qu’il soit encore trop tôt pour crier victoire, il demeure évident que Samuel progresse positivement dans sa réinsertion. Après quelques mois d’instabilité et de difficultés à s’adapter à la vie en société, il a su développer des stratégies pour se trouver lui-même un emploi et a acquis suffisamment de confiance en lui pour le conserver. Désormais hébergé dans une auberge du cœur en région, il développe des liens positifs avec les intervenants et les usagers. Pour socialiser positivement, il utilise les ressources mises à sa disposition telles que des abonnements au centre d’entraînement local et les activités proposées aux usagers de la ressource. De lui-même, il reconnaît trouver ces expériences valorisantes. Force est de constater qu’il a en effet développé une meilleure assertivité et une meilleure confiance en lui au cours des derniers mois, lui qui éprouvait de la difficulté à utiliser les transports en commun de peur d’affronter le regard des gens et qui passait le plus clair de son temps libre enfermé dans sa chambre.

Il reste encore quelques mois avant de terminer la dernière période de probation de cet adolescent. Depuis son dernier passage devant le tribunal, en 2022, aucun nouveau bris de condition n’a été déclaré. Son parcours a été long et quelque peu sinueux, mais Samuel nous a prouvé qu’il n’est jamais trop tard pour se reprendre en main malgré les difficultés. Bien que souvent, dans le cadre de notre travail, nous avons l’impression de prodiguer des conseils qui ne sont pas entendus, en fin de compte, Samuel nous montré que ce n’est pas le cas. Nous ne pouvons pas prédire l’avenir, mais, peu importe ce qui l’attend, les progrès réalisés par ce jeune au cours des derniers mois nous rassurent : il saura toujours quel chemin emprunter pour faire les bons choix et se maintenir proactif et prosocial dans la société.

S – « Ce qui m’a le plus aidé dans mon cheminement, ce sont mes rencontres avec des intervenants d’un organisme de ma région qui s’occupe spécifiquement de jeunes qui ont commis le même genre de délits que moi. Ils m’ont aidé à comprendre mon problème et aussi, à intégrer la notion de consentement. Grâce à eux, j’ai accepté mes torts et je me suis relevé. »

TÉMOIGNAGES DES ACTEURS SOCIAUX ET DES ACTEURS JUDICIAIRES

RECHERCHES

Addiction à la pornographie

La notion de « pornographie » fait référence à du matériel visant à créer ou à renforcer des émotions ou des pensées qui provoquent une excitation sexuelle (Hald et Malamuth, 2008). Même si les données exactes sont difficiles à obtenir, un portrait général se dessine. En ce qui concerne l’utilisation de la pornographie, des études montrent que 42 % des adolescents de 10 à 17 ans qui utilisent Internet auraient été exposés à de la pornographie dans l’année précédant l’étude (Wolak, Mitchell et Finkelhor, 2007). Si on observe seulement les jeunes garçons qui ont volontairement recherché du contenu à caractère pornographique, les statistiques sont les suivantes : 1 % chez les 10-11 ans, 11 % chez les 12-13 ans, 26 % chez les 14-15 ans et 38 % chez les 16-17 ans. Encore aujourd’hui, la communauté scientifique a des divergences d’opinions à propos de la conceptualisation de la problématique liée à la pornographie. Dans la littérature, on parle d’addiction*, de dépendance, d’impulsivité ou de compulsion sexuelle, de trouble hypersexuel, d’hypersexualité, d’addiction ou de dépendance à la pornographie, ou encore, d’usage compulsif, excessif ou problématique de la pornographie. Ce manque de consensus influe sur la manière de circonscrire la problématique, mais aussi sur son diagnostic et sur les traitements qui y sont associés. L’usage problématique de la pornographie se définit comme une incapacité d’en contrôler l’utilisation qui s’accompagne d’émotions ou de pensées négatives à propos de cette consommation et qui a des conséquences négatives sur la qualité de vie ou sur le fonctionnement général de l’individu (McBride, Reece et Sanders, 2007; Reid, 2007).

Les traitements reposent habituellement sur une combinaison de connaissances issues de traitements pour d’autres troubles, comme les autres formes de dépendance ou les troubles sexuels. Des traitements fondés sur l’approche cognitivo-comportementale suggèrent des stratégies comme placer l’ordinateur dans une pièce ouverte de la maison, installer des logiciels de contrôle parental (Delmonico, Griffin et Carnes, 2002) et réduire le temps passé en ligne (Young, 2008). Des traitements s’appuyant sur les principes de la thérapie d’acceptation et d’engagement (Hayes, Follette et Linehan, 2004) visent à favoriser la capacité d’adaptation des comportements en les dirigeant vers ce qui est important pour soi compte tenu de son environnement. Ces traitements consistent, par exemple, à mieux accepter la problématique, à rester en contact avec le moment présent et à identifier ses valeurs personnelles. D’autres types de traitements sont également utilisés : il s’agit de traitements qui reposent sur la prévention de la rechute (Osborne, 2004), sur l’entretien motivationnel, où l’on tente d’augmenter la motivation intrinsèque face au changement de la personne (Del Giudice et Kutinsky, 2007), ou encore de traitements fondés sur le modèle de la promotion de la santé sexuelle, où l’on tente d’informer la personne pour qu’elle puisse faire des choix de comportement plus éclairés. Malgré des divergences dans la compréhension du phénomène de la consommation problématique de pornographie, plusieurs solutions sont envisageables pour aider les individus. Cette utilisation problématique constitue une forme d’évitement (émotions, pensées, sensations physiques), de sorte qu’augmenter la compréhension du problème peut amener la personne à trouver des solutions adaptées à sa propre situation.

* L’addiction est une incapacité à contrôler sa consommation en ayant conscience des effets néfastes (trouble du comportement). La dépendance est un phénomène physiologique qui mène à consommer à nouveau pour ne pas subir les effets désagréables du manque (trouble physiologique).

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Références bibliographiques

Delmonico, D. L., Griffin, E. et Carnes, P. J. (2002). Treating online compulsive sexual behavior: when cybersex is the drug of choice. Dans A. Cooper (dir.), Sex and the Internet: A guidebook for clinicians (p. 147-167). New York, NY: Routledge.

Del Giudice, M. J. et Kutinsky, J. (2007). Applying motivational interviewing to the treatment of sexual compulsivity and addiction. Sexual Addiction and Compulsivity (vol. 14, p. 303-319). Abingdon-on-Thames: Taylor & Francis.
Hald, G. et Malamuth, N. M. (2008). Self-perceived Effects of Pornography Consumption. Archives of Sexual Behavior (vol. 37, p. 614-625). New York, NY: Springer Science + Business Media.

Hayes, S. C., Follette, V. M. et Linehan, M. M. (2004). Mindfulness and Acceptance: Expanding the Cognitive-Behavioral Tradition (319 p.) New York, NY: Guilford Press.

McBride, K. R., Reece, M. et Sanders, S. A. (2007). Predicting Negative Outcomes of Sexuality Using the Compulsive Sexual Behavior Inventory. International Journal of Sexual Health (vol. 19, p. 51-62).

Reid, R. C. (2007). Assessing Readiness to Change among Clients Seeking Help for Hypersexual Behavior. Sexual Addiction and Compulsivity, 14(3), p. 167-186.

Wolak, J., Mitchell, K. et Finkelhor, D. (2007). Unwanted and Wanted Exposure to Online Pornography in a National Sample of Youth Internet Users. Pediatrics,119(2), p. 247-257.

Autres références intéressantes

Crosby, J. M. (2011). Acceptance and Commitment Therapy for the Treatment of Compulsive Pornography Use: A Randomized Clinical Trial. All graduate theses and dissertations. Article 999. Repéré à http://digitalcommons.usu.edu/etd/999

Grubbs, J. B., Volk, F., Exline, J. J. et Pargament, K. I. (2015). Internet Pornography Use: Perceived Addiction, Psychological Distress, and the Validation of a Brief Measure. Journal of Sex & Marital Therapy, 41(1), p. 83-106. Abingdon: Taylor & Francis.

Messier-Bellemare, C. et Corneau, S. (2015). Les accros du porno : évaluation, diagnostic(s) et regard critique. Sexologies (vol. 24, p. 35-40). Pays-Bas : Elsevier.

Sergerie, M.-A. (2016). Cyberdependance.ca : Quand l’utilisation d’Internet et des technologies devient un problème. Repéré à www.cyberdependance.ca

Sergerie, M.-A. et Corneau, S. (2017). Usage problématique de la pornographie : conceptualisation, évaluation et traitement. Revue québécoise de psychologie (vol. 38, no 1).

Taux de récidive au Québec

Le nombre de demandes de service (et non le nombre de jeunes) en vertu de la LSJPA a chuté, passant de 13 557 en 2013-2014 à 7 420 en 2020-2021 (Lafortune, 2022). Dans la cohorte des jeunes de 2005-2012, on observe dans 40 % des cas une récidive qui survient dans les 18 mois suivants (Lafortune, 2022). Les jeunes les plus à risque de récidive sont les garçons qui sont plus jeunes au moment de leurs premières infractions et qui sont auteurs d’une infraction contre les biens, qui proviennent de milieux socioéconomiques défavorisés, qui ont des antécédents en matière de protection de la jeunesse et pour qui la première sanction pénale n’était pas une mesure extrajudiciaire (Lafortune, 2022). Selon le cheminement du jeune parmi les services, le taux de récidive change. Les jeunes qui font l’objet d’un double mandat sont ceux qui sont suivis en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA) et qui ont connu une prise en charge selon la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ). En 2020, on a établi quatre parcours différents en fonction des services reçus en vertu de ces deux lois. En premier lieu, on note un recours à la LPJ et à la LSJPA en raison d’une délinquance précoce (35 %) et majoritairement masculine ainsi que d’un taux de récidive élevé. En deuxième lieu, le parcours est plutôt féminin (30 %) et on assiste alors à un recours à la LPJ et, par la suite, à la LSJPA, avec un faible taux de récidive. En troisième lieu (20 %), un dossier soumis à la LPJ est fermé et il y a infraction plus tard. Ce parcours, plutôt mixte, est jalonné d’infractions qui demeurent modérées sur le plan de la gravité, et le taux de récidive est faible. Enfin, dans 15 % des cas, on note une entrée tardive dans la délinquance en vertu de la LSJPA, suivie d’une demande de protection en vertu de la LPJ (Lafortune, 2022). Le taux de récidive chez les jeunes qui ont commis une première infraction et qui ont fait l’objet de mesures extrajudiciaires est de 18 % (Lafortune, 2022).

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Références bibliographiques

Carpentier, J., Arseneault, C. et Alain, M. (2022). Délinquance à l’adolescence – Comprendre, évaluer, intervenir (366 p.). Montréal : Presses de l’Université du Québec.
Lafortune, D. (2022). Portrait et trajectoires des adolescents québécois en contact avec le système de justice pénale [vidéo]. Repéré à https://www.youtube.com/watch?v=P07BQRlpFek

Lafortune, D., Royer, M.-N., Rossi, C., Turcotte, M.-E., Boivin, R., Cousineau, M.-M., Dionne, J., Drapeau, S., Guay, J.P., Fenchel, F., Laurier, C., Meilleur, D. et Trépanier, J. (2015). La loi sur le système de justice pénale pour les adolescents sept ans plus tard : portrait des jeunes, des trajectoires et des pratiques (FQRSC 2011-TA-144097).