Ce que le juge Proulx pense de la LSJPA

Juge en chef adjoint
Cour du Québec, Chambre de la jeunesse

Bonjour. Mon nom est Robert Proulx. Je suis juge en chef adjoint à la matière jeunesse de la Cour du Québec. J’ai été admis au barreau en 1979. J’ai pratiqué le droit au sein du réseau de l’aide juridique dans les matières jeunesse et criminelles jusqu’à ma nomination à la magistrature, en septembre 2004. J’étais alors le bâtonnier du Barreau de Richelieu.

Après quelques années à titre de juge régulier, j’ai occupé les fonctions de juge coordonnateur adjoint à la Chambre de la jeunesse de la Montérégie et de juge coordonnateur en titre pour cette région. J’ai été nommé juge en chef adjoint à la matière jeunesse de la Cour du Québec le 1er février 2017.

Plus de 44 années passées en relation directe avec le droit de la jeunesse me permettent de prétendre que j’y ai acquis une solide expérience. À titre d’avocat, j’ai assisté plusieurs adolescents qui faisaient face à des accusations de nature criminelle et qui étaient sous le coup de la Loi sur les jeunes contrevenants, laquelle a été remplacée par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA). Depuis, j’ai présidé de nombreux procès d’adolescents dans cette situation.

À plusieurs égards, que ce soit lors du traitement d’accusations portées contre un adulte ou un adolescent, le rôle du juge est semblable. Au procès, les règles de preuve sont similaires et tous bénéficient de la présomption d’innocence et de l’application de la Charte canadienne des droits et libertés. Toutefois, les adolescents doivent faire l’objet de mesures de protection spéciales et donc, d’une considération particulière.

Cependant, lors de la détermination de la peine à imposer à un adolescent, la LSJPA comporte des objectifs et des principes qui diffèrent de ceux qui sont applicables à la peine imposée à un adulte et qui doivent être considérés et analysés par le juge.

Le préambule de la LSJPA stipule notamment que la société doit répondre aux besoins des adolescents en les aidant dans leur développement et en les soutenant. Il précise aussi que la société doit prévenir toute récidive en s’attaquant aux causes des délits et souligne que les enfants et les adolescents ont des droits et libertés, et que notre système de justice pénale doit imposer le respect et tenir compte des intérêts des victimes, tout en favorisant des mesures qui offrent aux adolescents des perspectives positives et contribuent à leur réadaptation et à leur réinsertion sociale.

Il faut aussi tenir compte des principes décrits à l’article 3, notamment le fait que le système de justice pour adolescents est distinct de celui des adultes, compte tenu, entre autres, du principe d’une culpabilité morale qui est moindre chez eux. Le juge exerce donc ses fonctions dans un système qui vise à protéger le public, mais en tenant compte des besoins spécifiques des adolescents et des intérêts des victimes.

Enfin, l’article 38 de la Loi reprend spécifiquement tous ces principes et nous indique les considérations particulières dont le juge doit tenir compte.

Le système de justice pénale pour adolescents se différencie également par plusieurs autres aspects, notamment l’application des mesures extrajudiciaires, qui est une procédure de déjudiciarisation, et le recours restreint à la mise sous garde dans le cas des crimes les plus graves.

Lorsque j’ai à déterminer la peine spécifique à imposer à un adolescent, je lis avec grand intérêt le rapport prédécisionnel qui m’est présenté. Celui-ci m’éclaire sur sa situation, me permet de mieux le comprendre et me donne des pistes de solution pour les mesures qui pourront atteindre les objectifs de la Loi.

Pour un juge en LSJPA et pour moi en particulier, il est important que la peine ait du sens pour l’adolescent. Lorsque je rends ma décision, je m’adresse à celui-ci en des termes qu’il peut comprendre. Je souhaite faire de cet instant un moment significatif dont il se souviendra. Je lui souligne que ce qu’il a fait ne peut être accepté et lui fait part de mes attentes à son endroit en mettant également l’accent sur ses forces. Cependant, il doit être conscient de mon rôle de décideur et de représentant de la Cour. Ainsi, il y a un protocole; nous sommes dans une salle d’audience, je porte une toge. Ces éléments ajoutent à l’importance du moment pour l’adolescent et à l’empreinte qu’il aura sur lui.

Au Québec, au cours des dernières années, nous avons fait de grands pas dans la prise en compte des besoins des victimes de délits commis par de jeunes contrevenants. Les organismes de justice alternative (OJA) ont effectué un travail formidable pour développer des mesures de médiation qui favorisent une meilleure réparation. Aussi, les rapports prédécisionnels qui sont rédigés par les délégués à la jeunesse informent le juge des conséquences du crime sur les victimes et des possibilités de réparation par les adolescents, voire de la possibilité d’une rencontre de médiation.

Je crois qu’au Québec, nous pouvons être fiers de tout ce que nous avons mis en place en vertu de la LSJPA. Nous avons créé un système intégré entre les acteurs sociaux et les acteurs judiciaires qui fait en sorte que les mêmes valeurs nous guident. Ce faisant, nous envoyons aux adolescents un message cohérent : bien sûr, leurs gestes délinquants sont inacceptables, mais nous croyons en leur capacité de réhabilitation et de réinsertion, et nous sommes convaincus que c’est la meilleure manière de s’y prendre pour assurer la protection de la société.